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HEURS ET MALHEURS DU REGIME A GEOMETRIE VARIABLE DES SURETES APRES LES REFORMES SUCCESSIVES DU DROIT FONCIER, PUIS DE L'ACTE UNIFORME PORTANT ORGANISATION DES SURETES :
L'EXEMPLE DU CAMEROUN

Maître MANDESSI BELL Evelyne.
Docteur d'état en droit
Avocate. Consultante.



INTRODUCTION




Le droit des sûretés au Cameroun, ainsi d'ailleurs que dans d'autres pays membres de l'Ohada, a subi depuis plusieurs décennies, des évolutions accompagnées d'inversions de systèmes et de normes qui lui donnent parfois le visage d'un environnement à géométrie variable susceptible de faire perdre son latin au plus perspicace des professionnels du droit ...

Rappelons que le législateur colonial français avait, en son temps, été amené, après quelques atermoiements, à introduire « Outre-mer » et plus particulièrement dans les pays de l'AOF et de l'AEF, le régime de l'Immatriculation inspiré de l'Act Torrens, jugé plus fiable et plus sécurisant que le régime de la Transcription du Code civil français (1).

Tel fut l'objet du Décret du 21 Juillet 1932 relatif au régime de l'Immatriculation mettant en avant l'Impossibilité d'opposer aux tiers des droits non publiés aux livres fonciers. Cependant, compte tenu de ce que les mécanismes et la logique de fonctionnement du système Torrens condamnant toutes sûretés occultes se heurtaient à ceux du Code civil, le législateur de 1932 avait dû réformer profondément le régime des sûretés et charges foncières du Code civil pour soumettre ces dernières au principe cardinal selon lequel tout droit réel immobilier ou charge foncière ne doit exister à l'égard des tiers qu'autant qu'ils ont été publiés aux livres fonciers dans les conditions et formes prévus par la loi foncière, ce qui permet aux créanciers de connaître à tout moment la marge exacte de mobilisation immobilière de leurs débiteurs.

Le droit des sûretés a connu en conséquence à l'époque son premier virage à 360°, par le re-paramétrage des standards du Code civil. Près de 70 ans après, l'Acte Uniforme Ohada portant organisation des sûretés est venu défaire en partie l'architecture « Torrens» en réintroduisant des schémas que le droit foncier avait expressément écartés.

Après la présentation des réformes de 1932 (Section 1), il importera de passer en revue celles de l'Ohada, en incluant quelques observations sur les incidences de cette géométrie variable sur la sécurité du droit des sûretés (Section 2).


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(1) Me E. Mandessi Bell . Droit foncier et immobilier au Cameroun. 2004. p. 6 : le système de la Transcription du Code civil français comportait de nombreuses lacunes : « il ne permettait de donner ni au propriétaire du bien immeuble ni à son co-contractant la sécurité juridique désirable. En effet, les écritures publiques à la base des constitutions et des mutations de droits réels immobiliers ne conféraient nullement au propriétaire et à son cocontractant une situation juridique inattaquable et opposable à tous. De fait, le Code Civil ayant pour fondement le concept juridique de possession, le système qui en découlait ne permettait pas de connaître la situation juridique exacte des biens immeubles car, s'il était vrai que le propriétaire, en invoquant la prescription acquisitive, pouvait établir définitivement son droit, il ne risquait pas moins de se voir opposer le principe non moins fondamental de la relativité des actes juridiques et l'adage "Nemo plus juris... " » . Ibidem. P. 10. « De fait, conscient des limites du système de la transcription et des avantages du régime de l'Immatriculation qui permettait :

- d'avoir un état des terres susceptibles de transactions immobilières (car ces terres étaient répertoriées aux livres fonciers), - de purger les droits réels antérieurs à l'instance d'immatriculation (non révélés en temps utile) par la procédure d'immatriculation de l'immeuble donnant lieu à la délivrance d'un titre foncier définitif et inattaquable, - de connaître l'état exact des droits réels et charges foncières susceptibles de gréver l'immeuble objet de ransaction en vertu de l'obligation de les publier sous peine d'inopposabilité aux tiers,

le législateur colonial français avait été amené à introduire dans la majeure partie des pays d'Outre Mer le régime de l'Immatriculation des droits fonciers » .

- Pour les analyses critiques du régime de la Transcription du Code civil, Cf. également : Jacques Chabas. La propriété foncière en Afrique noire . Librairies Techniques. 1957. Fasc. A. §1er 1. p. 3 ; Victor Gasse . "Le régime foncier à Madagascar et en Afrique" Librairie Autonome. 1959. p.10-11.




SECTION 1.

LE RE-PARAMETRAGE DU REGIME DES SURETES ET PRIVILEGES
DU DROIT CIVIL EN 1932 AU CAMEROUN




Après rappel du principe général du droit foncier en la matière (I), il s'agira d'en examiner successivement les applications aux privilèges du droit civil ( II), puis aux hypothèques (III).

I - Principe général : la suppression de toutes les sûretés occultes et la refonte du régime du Code civil.



Le Décret du 21/07/1932 a supprimé toutes les sûretés occultes instituées par le Code civil, les privilèges, ainsi que les hypothèques légales, ce, en application du principe selon lequel nul droit de préférence sur l'immeuble ne peut exister à l'encontre des tiers si ces derniers n'en ont pas été préalablement informés par les livres fonciers. La mise en oeuvre de ce principe impliquait la suppression des hypothèques générales instituées dans le cadre du Code civil, car pour être valable, toute inscription hypothécaire suppose, outre une publicité aux livres fonciers, la spécification des immeubles qu'elle grève et des créances qu'elle a pour objet de garantir. Dans cet esprit, devaivent être proscrites toutes inscriptions dont l'assiette était générale, ou qui garantissait des créances indéterminées, ou encore portait sur les biens immeubles présents et futurs du débiteur.


II - Application aux privilèges du droit civil.


1. Application aux privilèges institués par le Code civil.


A. Suppression des privilèges institués par le Code civil.

L'article 29 du Décret du 21/07/1932 a supprimé les privilèges du vendeur d'immeuble, du bailleur de fonds ayant fourni les deniers pour l'achat de l'immeuble, des co­partageants sur les immeubles de la succession et du co-échangiste. Privés de leur privilège, les créanciers sus-visés s'étaient vus conférer la possibilité de préserver leurs droits dans le cadre d'hypothèques conventionnelles selon le schéma prévu à l'article 40 :"le vendeur" (2) "l'échangiste ou le co-partageant de biens immeubles peuvent, dans le contrat de vente, d'échange ou de partage, stipuler de leur acheteur, co-échangiste ou co-partageant, une hypothèque sur les immeubles vendus, échangés ou cédés, pour garantie du paiement total ou partiel du prix ou de la soulte d'échange ou de partage".

A défaut de stipulation d'hypothèque conventionnelle (art. 33 alinéa 3 du Décret du 21/07/1932), ces divers créanciers avaient donc la possibilité d'obtenir obtenir une hypothèque forcée, en vertu d'un jugement du tribunal. En outre, l'article 30 al. 1 du même Décret avait déclassé les privilèges énumérés aux articles 2098 et 2101 du Code civil à l'exception du privilège des frais de justice pour la réalisation de l'immeuble et la distribution du prix ainsi que les droits du Trésor en matière d'impôts (qui étaient en outre tous deux exemptés de la formalité de publication aux livres fonciers - art. 30 al. 2 nouveau) (3).

Les autres privilèges visés aux articles 2098 et 2101 ne devaient plus subsister, en tant que tels, dans le cadre de ce nouvel environnement. Ils n'existaient plus, en matière immobilière , tels qu'originellement prévus dans le cadre du Code civil mais ne procuraient simplement à leurs titulaires un droit de préférence sur les créanciers chirographaires. Que devait-il en être des privilèges ainsi supprimés ?

B. Le remplacement des privilèges supprimés par des hypothèques forcées.

Comme relevé ci-dessus, à défaut de stipulation d'hypothèque conventionnelle , le vendeur d'immeuble, le bailleur de fonds, l'échangiste, et le co-partageant s'étaient vus conférer la possibilité d'obtenir du tribunal une hypothèque forcée (art. 29 du Décret). Ceci devait intervenir par décision de justice susceptible d'être obtenue sans le consentement du débiteur. Elle n'existait pas toutefois de plein droit. Elle devait être demandée par le créancier (art. 33 du Décret).

Il faut ajouter que cette hypothèque n'avait pas une assiette générale, car ceci aurait été contraire aux fondements du système Torrens. A la différence de l'hypothèque judiciaire telle que prévue par le Code civil, elle ne devait en principe concerner que les biens immeubles présents du débiteur spécifiquement désignés dans la décision de justice portant hypothèque forcée, et la créance qu'elle avait pour objet de garantir devait également être déterminée quant à son montant dans cette décision de justice.

A ces formules de garanties conférées à ces créanciers en remplacement des privilèges dont ils bénéficiaient antérieurement, le législateur de 1932 avait ajouté la possibilité d'intenter l'action en résolution de l'acte de vente, d'échange ou de partage pour défaut de paiement du prix de l'immeuble ou de la soulte (article 40 du Décret). Si de telles actions n'avaient pas été réservées dans le contrat, la "conservation" de cette "action en résolution" pouvait être "accordée par jugement du tribunal inscrit à la Conservation Foncière " (art. 40).

Ce virage à 180° opéré par le décret foncier allait avoir des incidences importantes dans les schémas de distribution du prix entre créanciers concurrents sur lesquels il importe de revenir, après rappel des normes du droit civil prévalant auparavant.

C. Conséquences de la suppression des privilèges du droit civil

a) Rappel des normes en vigueur sous l'empire du Code civil.

Le premier grand principe en vigueur sous l'empire du Code civile en matière de privilèges était relatif au rang de préférence des privilèges immobiliers sur les hypothèques (article 2095 du Code civil). Ainsi en cas de conflit entre deux ou plusieurs sûretés immobilières nées du chef du même débiteur, les privilèges immobiliers avaient en principe un rang préférable à celui des hypothèques. Par ailleurs, le rang des privilèges (4) était en principe indépendant de la date d'inscription du privilège (article 2096 du Code civil).

Les privilèges étant en effet, de par la loi, inhérents à la créance dont ils constituaient la sûreté, ils naissaient au même moment que cette créance, quelle que fût la date de leur inscription (5). Dans ce contexte, en cas de conflit entre privilèges immobiliers et privilèges généraux de l'article 2104 (6) sur l'immeuble d'un même débiteur, lorsque, à défaut de meubles, ces privilèges généraux s'exerçaient sur l'immeuble du débiteur, le rang de ces divers créanciers se déterminait comme suit : 1.  Privilèges de l'article 2101 (frais de justice, frais funéraires, salariés, fournitures de subsistance, créance de la victime d'un accident), 2. Créanciers privilégiés sur l'immeuble de l'article 2103, 3. Créances du Trésor étrangères à l'impôt.

b) Les nouvelles normes introduites par le Décret de 1932.

L'inscription de privilèges ayant un effet rétroactif à la date de naissance de la créance était en contradiction flagrante avec le principe du décret foncier en vertu duquel toute cause de préférence sur l'immeuble ne peut prendre effet à l'égard des tiers qu'à dater de son inscription aux livres fonciers. En conséquence, les privilèges supprimés de l'article 2103 (convertis selon le cas en hypothèques forcées ou conventionnelles) ne devaient désormais prendre rang qu'à compter de leur inscription, comme toutes les autres hypothèques (7). Dès lors, ces ex-créanciers privilégiés allaient perdre leur rang privilégié par rapport aux créanciers hypothécaires et entrer en concours avec eux.

Quelles furent les incidences du déclassement des privilèges des articles 2098 et 2101 du Code civil (exception faite des frais de justice pour la réalisation de l'immeuble et la distribution du prix ainsi que des droits du Trésor en matière d'impôts) ? Sous l'empire des règles du Code civil, ces privilèges, qui avaient pour assiette les meubles et les immeubles du débiteur, prenaient rang, à défaut de mobilier, avant les privilèges mobiliers de l'article 2103 du Code civil. Or ces privilèges ayant été déclassés par l'article 30 al. 1 du Décret du 21/07/1932, en cas de concours entre ces divers créanciers et les créanciers hypothécaires, le classement devait désormais être établi comme suit :

1. Privilèges des frais de justice sus-visés et du Trésor en matière d'impôts,
2.  Créanciers hypothécaires (anciens créanciers privilégiés sur l'immeuble et autres créanciers hypothécaires),
3.  Privilèges déclassés des articles 2098 et 2101 du Code civil (qui n'avaient désormais un rang de préférence que par rapport aux créanciers chirographaires), 4. Créanciers chirographaires.

Tels furent les changements radicaux introduits par le décret foncier au niveau des privilèges du Code civil.

Qu'en a-t-il été des hypothèques ?


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(2) auquel était assimilé le bailleur de fonds conformément à l'article 29.


(3) En plus du maintien de son privilège, le Trésor bénéficiait d'autres avantages dans le cadre de l'article 33 du même Décret du 21/07/1932 (tel que modifié par l'article 7 de l'Ordonnance n 60-59 du 07/05/1960). Cette Ordonnance semblait en effet avoir étendu le bénéfice de l'hypothèque forcée au Trésor dans le cadre d'une rubrique n° 4 " pour ... toutes condamnations prononcées son profit". De plus, il était stipulé que "le Trésor est en outre autorisé à inscrire l'hypothèque légale qui lui est reconnue sur les biens des comptables publics par l'article 2121 du Code civil dans les conditions prévues par la Loi du 05/07/1807"...

(4) excepté les privilèges immobiliers soumis à publicité.

(5) Jurisprudence ancienne et constante : Civ. 06/05/1868. D.P. 1868.1. 316 - NANCY 03/02/1891. D.P. 1892. 2. 161 - PAU 24/06/1891. D.P. 1892. 2. 349 - Req. 01/08/1904. D.P. 1908. 1. 457.

(6) privilèges des articles 2098 et 2101 s'exerçant sur les meubles et les immeubles du débiteur.

(7) Il n'en était autrement, s'il s'agissait d'une hypothèque forcée, qu'au cas où une prénotation avait été faite dans le cadre de l'article 41 du Décret du 21/07/1932 . Dans ce cas, le jugement définitif portant hypothèque forcée prenait rang à la date de l'inscription prise conservatoirement. Notons par ailleurs que le décret foncier n'ayant prévu aucune règle en cas de conflit de deux hypothèques inscrites le même jour, devraient être appliquées en cette matière les dispositions de l'article 2147 du Code civil aux termes desquelles les créanciers hypothécaires inscrits le même jour viennent en concurrence quel que soit le moment auquel les inscriptions ont été respectivement prises. L'article 43 du Décret de 1932 dispose en effet simplement que "l'hypothèque régulièrement publiée prend rang à compter de son inscription ".

III - Application des normes du droit foncier de 1932 au régime hypothécaire du Code civil.


La réforme de 1932 a eu trois principales articulations :

- la suppression des hypothèques occultes (1),

- le remplacement de ces hypothèques occultes par des hypothèques forcées (2),

- en sus de la réforme du régime applicable aux hypothèques portant sur plusieurs points importants : suppression de la péremption (3)

et de la purge des hypothèques (4),

remplacement de l'hypothèque judiciaire par l'inscription d'un commandement (5).

1. La suppression des hypothèques occultes.

Toute cause de préférence sur un immeuble n'existant à l'égard des tiers que si elle est publiée aux livres fonciers, il n'était pas possible de maintenir les hypothèques légales et ju diciaires prévues par le Code civil qui créaient un rang de préférence arbitraire entre les créanciers de l'immeuble. C'est pourquoi l'article 31 du Décret du 21/07/1932 disposait que "l hypothèque est soit forcée soit conventionnelle. Les hypothèques légales et judiciaires telles que prévues par les dispositions du Code civil ne sont pas applicables aux immeubles soumis au régime de l'Immatriculation ".

2. Le remplacement de ces hypothèques par des hypothèques forcées.

Ces hypothèques supprimées furent donc remplacées par des hypothèques forcées et c'est ainsi que l'article 33 du Décret du 21/07/1932 avait conféré une hypothèque forcée :

-1° aux mineurs et aux interdits sur les biens de leur tuteur et à la caution de ce dernier,

- 2° à la femme mariée sur les immeubles de son mari pour sa dot, ses droits matrimoniaux, l'indemnité des obligations du mari dont elle est tenue et le remploi du prix des biens aliénés ". (8).

Ces hypothèques susceptibles d'être obtenues par décision de justice sans le consentement du tuteur ou du mari, conformément aux dispositions de l'article 33 du Décret du 21/07/1932, allaient désormais être soumises à la formalité de l'inscription aux livres fonciers et à la règle de la spécialité.

A. L'hypothèque forcée de la femme mariée.

Les textes (Décret du 21/07/1932) Article 37 - "L'hypothèque forcée de la femme mariée est d é terminée , quant aux sommes garanties et aux immeubles hypothéqués, soit par une disposition expresse du contrat de mariage, soit postérieurement au contrat, ou, s'il n'y a pas eu contrat et à défaut du consentement du mari, par un jugement du tribunal rendu en Chambre du Conseil, sur la requête de la femme, de ses parents, alliés, créanciers ou du Ministre Public ".

Article 38 - "Dans les cas où les garanties hypothécaires données à la femme sont reconnues insuffisantes, elles peuvent être étendues à la requête des personnes énumérées à l'article précédent par le jugement du tribunal rendu en Chambre du Conseil, le Ministère Public entendu. Si ces garanties sont reconnues excessives, la réduction peut en être ordonnée dans les mêmes formes, à la requête du mari".

Article 39 - "Les maris et tuteurs peuvent toujours être dispensés de l'hypothèque en constituant un gage mobilier ou une caution moyennant que cette substitution soit approuvée et les conditions de constitution du gage fixées par un jugement du tribunal rendu en Chambre du Conseil, le Ministère Public entendu ".

Contrairement à l'ancienne hypothèque légale, l'hypothèque forcée de la femme mariée ne grevait donc plus indistinctement tous les biens immeubles du mari, et toutes les créances de la femme sur son époux ne bénéficiaient pas non plus des mêmes garanties (art. 37 susvisé). Enfin, ajoutons qu'aux termes de l'article 42 du Décret de 1932, la femme mariée pouvait renoncer à son hypothèque forcée ou en consentir la cession par acte authentique.

B. L'hypothèque forcée des mineurs et interdits.

Les textes (Décret du 21/07/1932) : Article 34 : "L'hypothèque forcée des mineurs et interdits est déterminée, quant aux sommes garanties et aux immeubles hypothéqués, par une délibération du conseil de , famille prise à la requête du tuteur, du subrogé tuteur, des parents, alliés ou créanciers des mineurs ou interdits, ou du Ministère Public ",

Article 35 : " Dans les cas où les garanties données aux mineurs ou interdits sont reconnues insuffisantes, elles peuvent être étendues par délibération du conseil de famille r e n d u e à l a r e q u ê t e des mêmes personnes. Si elles sont reconnues excessives, la réduction peut en être accordée clans les mêmes formes à la requête du tuteur". Article 36 : " Dans ces différents cas, à défaut du consentement du tuteur, la délibération du conseil est soumise à l'homologation du tribunal et le droit à l'hypothèque résulte du jugement d'homologation".

Comme nous pouvons le voir, ce régime assez similaire dans ses grandes lignes à celui conféré à la femme mariée, reposait néanmoins essentiellement sur l'institution du conseil de famille dont les décisions étaient soumises au contrôle du juge ainsi qu'indiqué à l'article 36 (9).

En résumé, la seule possibilité qu'avaient les maris et tuteurs d'échapper à l'hypothèque forcée était, conformément aux dispositions de l'article 39 du Décret, de proposer, en remplacement, un gage mobilier ou une caution, la consistance du gage étant souverainement appréciée par le tribunal (10).

3. La suppression de la péremption des hypothèques


Cette suppression était la conséquence même des principes fondamentaux du système de publicité réelle Torrens. En effet, l'article 158 du Décret de 1932 posait le principe général selon lequel "le titre de propriété et les inscriptions conservent le droit qu'ils relatent tant qu'ils n'ont pas été annulés, rayés ou modifiés et font preuve à l'égard des tiers que la personne qui y est dénommée est réellement investie des droits qui y sont spécifiés... ".

Il
n'était nullement fait exception à cette règle pour les créanciers hypothécaires, c'est pourquoi. l'article 43 du même Décret réitérait le principe général ainsi posé en stipulant que "l'hypothèque régulièrement publiée conserve son rang et sa validité, sans formalité nouvelle, jusqu'à la publication dans les mêmes formes de l'acte libératoire" (11).

4. La suppression de la purge des hypothèques.

Si l'institution de la purge se concevait dans le cadre d'un régime où l'hypothèque pouvait être occulte et générale, elle perdait toute sa pertinence dans un système tel que le régime foncier de l'Immatriculation qui permettait à toutes personnes intéressées de connaître exactement les charges grévant l'immeuble, puisque celles qui n'étaient pas publiées ne leur étaient pas opposables. En supprimant la purge (article 50 du Décret du 21/07/1932), le législateur foncier libérait donc les créanciers hypothécaires de l'emprise de leurs débiteurs et leur permettait de réaliser leur gage à tout moment, sous réserve des clauses contractuelles auxquelles qu'ils avaient souscrites (s'il s'agissait d'hypothèques conventionnelles)

La purge des hypothèques avait toutefois été maintenue dans deux cas : en matière de saisie immobilière et en cas d'expropriation pour cause d'utilité publique.

L'article 46 3° du Décret de 1932 visait en effet "la procédure de purge par le tiers détenteur sur expropriation forcée ou sur expropriation pour cause d'utilité publique". Par ailleurs, un cas de purge "d'office" était prévu à l'article 64 du Décret qui disposait qu'au moment où un adjudicataire était retenu, "une expédition du procès-verbal d'adjudication et de ses annexes sera déposée aux bureaux de la Conservation Foncière aux fins d'inscription. Cette formalité purgera tous les privilèges et hypothèques et les créanciers n'auront plus d'action que sur le prix". En matière d'expropriation pour cause d'utilité publique, l'article 51 du Décret disposait pour sa part qu' "en cas d'expropriation pour cause d'utilité publique, les détenteurs de droits réels inscrits ne peuvent exercer ces droits que sur l'indemnité d'expropriation... L'inscription de la décision prononçant définitivement l'expropriation ... purgera d'office l'indemnité de tous droits réels inscrits" (12) .

5. Le remplacement de l'hypothèque judiciaire par l'inscription d'un commandement.

La raison d'être de ce changement est parfaitement expliquée par V. GASSE (13) qu'il importe de citer à nouveau, in extenso, lorsqu'il relate les origines de cette réforme opérée par le législateur colonial.

"La suppression de l'hypothèque judiciaire laisse les créanciers pourvus d'un titre exécutoire exposés aux agissements d'un débiteur de mauvaise foi cherchant à se rendre insolvable soit en aliénant ses immeubles, soit en les hypothéquant en fraude de leurs droits. Il convenait de trouver un autre mode de protection qui les garantisse contre de telles manoeuvres. C'est l'objet de l'inscription du commandement du créancier nanti d'un certificat d'inscription ou d'un titre exécutoire au livre foncier.
Cette institution tire son origine de la Loi belge du 15/08/1854 qui avait prévu la transcription du commandement de payer et interdit au débiteur d'aliéner ou d'hypothéquer les immeubles indiqués au commandement ...

A la différence de l'hypothèque judiciaire qu'elle remplace, l'inscription du commandement ne crée pas de droits de préférence entre les créanciers chirographaires: l'inscription n'est pas le prix de la course, grief essentiel adressé à l'hypothèque judiciaire. Le créancier dont le commandement est inscrit n'a de droit réel sur l'immeuble que celui qui peut être attaché sa créance" .

Telles furent dans leurs grandes articulations, les réformes fondamentales introduites par la législation foncière dans le régime des privilèges et hypothèques du Code civil.

L'Acte Uniforme Ohada mis en vigueur en 1998 a opéré un revirement normatif partiel en laissant inchangées certaines réformes du Décret de 1932, mais en en modifiant d'autres dans le régime des privilèges et des hypothèques.


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(8) Nous ne reviendrons pas sur l'hypothèque forcée du vendeur, du bailleur de fonds, du co­ partageant et de l'échangiste dont il a déjà fait état ni sur celle du Trésor

(9) La législation foncière prévoyait donc en amont cette possibilité d'hypothèque forcée et en aval l'interdiction de mutation de biens des mineurs au nom du tuteur (Art. 10 du Décret n° 76-165 du 27/04/1976: "les administrateurs des biens d'une succession ne peuvent obtenir en leur nom, des titres fonciers sur ces biens ").

(10) Ajoutons que ces hypothèques forcées pouvaient faire l'objet d'une prénotation aux livres fonciers.

(11 ) Cependant, le même article disposant que "la garantie hypothécaire des intérêts demeure soumise aux dispositions de l'article 2151 du Code civil" les créanciers hypothécaires inscrits ne devaient être colloqués que pour trois ans seulement au rang du capital.

(12 ) Dans le même ordre d'idées, l'article 15 de l'Ordonnance n° 74.3 du 06/07/1974 relative à la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique disposait que "les actions en résolution, en revendication et toutes actions réelles ne peuvent arrêter l'expropriation ni en empêcher les effets. L'action en réclamation est transportée sur l'indemnisation et le droit en demeure affranchi".

(13) Le droit foncier d'Outre Mer et son évolution depuis l'Indépendance. op. cit. p. 207.




Compte tenu de son positionnement à cheval entre le droit foncier et le droit des affaires Ohada, cet article sera également publié dans notre notre site partenaire de Droit des affaires www.ohadalegis.com.






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