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HEURS ET MALHEURS DU REGIME A GEOMETRIE VARIABLE DES SURETES APRES LES REFORMES SUCCESSIVES DU DROIT FONCIER, PUIS DE L'ACTE UNIFORME PORTANT ORGANISATION DES SURETES :
L'EXEMPLE DU CAMEROUN

Maître MANDESSI BELL Evelyne.
Docteur d'état en droit
Avocate. Consultante.

(suite et fin)


SECTION
2.
LES REFORMES DU DROIT OHADA




Après une présentation synthétique des changements intervenus et des dispositifs maintenus par l'Acte Uniforme sur les sûretés (I) , seront examinés deux cas emblématiques des nouveaux revirements de standards survenus dans le droit des sûretés, avec les exemples de l'hypothèque de la masse et des inscriptions hypothécaires (II).



I.  Présentation synthétique des réformes Ohada.



Le récapitulatif des principaux éléments inchangés et modifiés est fait dans le tableau ci-après.



CE QUI EST DEMEURE GLOBALEMENT INCHANGÉ PAR RAPPORT AUX
REFORMES DE 1932




Les
hypothèques
di
fférées



ARTICLE 130
: La publication de l'hypothèque conventionnelle garantissant un prêt à court terme peut être différée pendant un délai maximum de quatre­ - vingt dix jours sans que le créancier ne perde le rang qui lui est acquis.

Pour cela, le créancier devra se conformer aux dispositions spécialement édictées à cet effet par les règles de publicité foncière concernant les hypothèques garantissant les prêts à court terme, prévues par la loi nationale du lieu de situation de l'immeuble.



CE QUI
A GLOBALEMENT CHANGE PAR RAPPORT AUX REFORMES DE 1932



La réintroduction de la péremption
des hypothèques

 
ARTICLE 123 : L'inscription conserve le droit du créancier jusqu'à la date fixée par la convention ou la décision de justice; son effet cesse si elle n'est pas renouvelée, avant l'expiration de ce délai, pour une durée déterminée.



L'introduction
de deux caté gories d'hypo-thèques forcées (lé- gales et judiciaires) en lieu et place d'une seule (judiciaire)


ARTICLE
132 : l'hypothèque forcée est celle qui est conférée, sans le consentement du débiteur, soit par la loi, soit par une décision de justice.

Qu'elle soit légale ou judiciaire, l'hypothèque forcée ne peut porter que sur des

immeubles déterminés et pour la garantie de créances individualisées par leur origine et leur cause et pour une somme déterminée.



L'nstitution de
l'hypothèque légale de la masse


ARTICLE 133 :
L'hypothèque légale de la masse des créanciers est prévue par l'Acte uniforme organisant les procédures collectives ; elle est inscrite dans le délai de dix jours à compter de la décision judiciaire d'ouverture de la procédure collective à la requête du greffier ou du syndic.



La réintroduction
des inscriptions provisoires d'hypothèque


ARTICLE
136 : Pour sûreté de sa créance, en dehors des cas prévus par les articles 133 à 135, le créancier peut être autorisé à prendre inscription provisoire d'hypothèque sur les immeubles de son débiteur en vertu d'une décision de la juridiction compétente du domicile du débiteur ou du ressort dans lequel sont situés les immeubles à saisir.

La décision rendue indique la somme pour laquelle l'hypothèque est autorisée.

Elle fixe au créancier un délai dans lequel il doit, à peine de caducité de l'autorisation, former devant la juridiction compétente l'action en validité d'hypothèque conservatoire ou la demande au fond, même présentée sous forme de requête à fin d'injonction de payer. Elle fixe, en outre, le délai pendant lequel le créancier ne peut saisir la juridiction du fond.


 

II.  Les nouveaux revirements dans le droit des sûretés. L'exemple de l'hypothèque de la masse et des inscriptions hypothécaires




1. Le revirement opéré au niveau du régime de l'hypothèque de la masse

L'hypothèque de la masse dans la faillite du débiteur était antinomique avec les standards du système Torrens de publicité foncière, raison pour laquelle, comme les autres sûretés et privilèges examinés plus haut, elle ne pouvait être maintenue.

V. GASSE relève dans l'ouvrage précité (p. 199) que "la suppression de l'hypothèque judiciaire a eu pour conséquence la suppression de l'hypothèque de la masse résultant du jugement de mise en faillite dans les pays régis par le système des livres fonciers".

Conscient des conséquences que cette situation pouvait avoir sur les créanciers, le législateur colonial avait prévu, dans le Décret du 26/07/1932 introduit en A.O.F., de préserver les intérêts de la masse sur les immeubles du failli en lui conférant une hypothèque forcée.

Cependant, ce schéma ne fut pas retenu au Togo et au Cameroun où les Décrets du 23/12/1922 et du 21/07/1932 n'avaient prévu aucune hypothèque forcée au profit de la masse en cas de faillite ou de liquidation judiciaire.

Pour savoir quelle était la situation prévalant sur ce point avant l'entrée en vigueur du droit Ohada, il importe de faire une petite rétrospective en se référant d'une part aux dispositions pertinentes du Code de Commerce, d'autre part à celles du Décret foncier du 21/07/1932.

A. Rappel des dispositions pertinentes du Code de Commerce.

Le Décret n°55-583 du 20/05/1955 relatif aux faillites, aux règlements judiciaires et à la réhabilitation disposait que le jugement déclaratif de faillite conférait à la masse une hypothèque sur les immeubles du débiteur, hypothèque qui ne constituait pas une simple mesure conservatoire destinée à rendre publics les effets du dessaisissement du débiteur, mais une véritable hypothèque conférant un droit de préférence et de suite sur lesdits immeubles. Aucun délai spécifique n'était imparti au syndic pour effectuer l'inscription, mais cette hypothèque ne prenant toutefois date que du jour de son inscription, le syndic engageait sa responsabilité s'il tardait à effectuer cette formalité.

Cependant, ce texte n'était pas applicable au Cameroun auquel n'avait pas été étendue la réforme de 1955 intervenue en France, et où demeurait en vigueur l'article 490 du Code de Commerce qui prévoyait  ce qui suit:

Al.. 1. "A compter de leur entrée en fonction, les syndics seront tenus de faire tous actes pour la conservation des droits du failli contre ses débiteurs... ".

AI. 3. 'Ils seront tenus aussi de prendre inscription au nom de masse des créanciers sur les immeubles du failli dont ils connaîtront l'existence. L'inscription sera reçue sur un simple bordereau énonçant qu'il y a faillite et relatant la date du, jugement par lequel ils auront été nommés".

L'hypothèque ainsi prise ne prenait date que du jour de son inscription, conformément aux dispositions des articles 2134 du Code civil et 43 du Décret du 21/07/1932.

Ajoutons enfin que cette inscription dérogeait à la règle de spécialité car l'article 490 alinéa 3 du Code de Commerce ne faisait pas obligation aux syndics de fixer, même à titre provisoire, le montant des créances garanties.

De l'examen des textes ci-dessus reproduits, applicables au Cameroun à l'époque, il ressortait que l'hypothèque n'était donc nullement conférée de droit à la masse suite au jugement déclaratif de faillite, mais elle apparaissait plutôt comme une simple mesure conservatoire comme le confirme d'ailleurs l'intitulé de la Section dans laquelle l'article 490 est intégré (Section IV. "Actes conservatoires").

B. Rappel des dispositions pertinentes du Décret foncier du 21/07/1932.

Rappelons que les dispositions des articles ler et 17 du Décret de 1932 rendaient obligatoire la publication aux livres fonciers de tout droit réel immobilier pour être opposable aux tiers. La survenance de la faillite ou de la liquidation d'un débiteur constituant un événement susceptible d'avoir des incidences sur l'ensemble de son patrimoine (et donc sur ses immeubles répertoriés à la Conservation Foncière), en tant qu' acte constatant un fait susceptible d'avoir un impact sur la situation juridique desdits immeubles et sur les droits réels qui s'y rattachaient, tout jugement constatant la faillite ou la liquidation judiciaire d'un débiteur devait donc faire l'objet d'inscription aux livres fonciers, sous peine d'inopposabilité aux tiers. Ce schéma était d'ailleurs en conformité avec la logique du Code de Commerce qui faisait obligation aux syndics d'inscrire une hypothèque sur les biens du failli au nom de la masse.

Tels étaient les contours du régime de l'hypothèque de la masse avant l'entrée en vigueur du droit Ohada.

C. Les nouveaux standards du droit Ohada.

L'Acte Uniforme portant organisation des sûretés a, en 1998, fait renvoi en ces termes à l'Acte Uniforme relatif aux procédures d'apurement du passif en ce qui concerne le régime de l'hypothèque de la masse :

Article 133. «  L'hypothèque légale de la masse des créanciers est prévue par l'Acte uniforme organisant les procédures collectives ; elle est inscrite dans le délai de dix jours à compter de la décision judiciaire d'ouverture de la procédure collective à la requête du greffier ou du syndic ».

L'Acte Uniforme relatif aux procédures d'apurement du passif a pour sa part réglé en un article unique les contours du régime de cette hypothèque :

Article 74.

« La décision d'ouverture emporte, au profit de la masse, hypothèque que le greffier est tenu de faire inscrire immédiatement sur les biens immeubles du débiteur et sur ceux qu'il acquerra par la suite au fur et à mesure des acquisitions.

Cette hypothèque est inscrite conformément aux dispositions relatives à la publicité foncière. Elle prend rang du jour où elle a été inscrite sur chacun des immeubles du débiteur.

Le syndic veille au respect de cette formalité et, au besoin, l'accomplit lui-même ».

Si la nouvelle hypothèque ainsi instituée par le droit Ohada est en phase avec deux des règles fondamentales de la publicité foncière, puisque d'une part elle doit être publiée en en respectant les prescriptions de la publicité foncière, d'autre part elle ne peut prendre rang qu'à compter de son inscription, cette conformité s'arrête là. En effet, l'inclusion du mécanisme d'extension progressive mais indéfinie de l'assiette de l'hypothèque à l'article 74 al. 1 et le mutisme de ce texte sur les créances garanties donne à cette nouvelle hypothèque de la masse mise en place par le droit Ohada le profil type des sûretés proscrites par le droit foncier (sûretés à assiette générale, garantissant des créances indéterminées, ou portant sur les biens immeubles présents et futurs du débiteur,...

Le renouvellement des inscriptions hypothécaires  est un autre exemple emblématique des mouvements à géométrie variable subis par le droit hypothécaire.

2. Le revirement opéré au niveau du régime des inscriptions hypothécaires

L'Acte Uniforme portant organisation des sûretés prévoyait ce qui suit en la matière  :

« Art. 122. Tout acte conventionnel ou judiciaire constitutif d'hypothèque doit être inscrit au livre foncier conformément aux règles de la publicité foncière prévues à cet effet.

L'inscription confère au créancier un droit dont l'étendue est définie par la loi nationale de chaque Etat partie et les énonciations du titre foncier.

L'hypothèque régulièrement publiée prend rang du jour de l'inscription, sauf dispositions contraires de la loi, et le conserve jusqu'à la publication de son extinction.

Art. 123. L'inscription conserve le droit du créancier jusqu'à la date fixée par la convention ou la décision de justice ; son effet cesse si elle n'est pas renouvelée, avant l'expiration de ce délai, pour une durée déterminée.

Art. 124. 2. L'extinction de l'hypothèque conventionnelle ou forcée résulte :

- de l'extinction de l'obligation principale ;

- de la renonciation du créancier à l'hypothèque ;

- de la péremption de l'inscription attestée, sous sa responsabilité, par le conservateur de la propriété foncière, cette attestation devant mentionner qu'aucune prorogation ou nouvelle inscription n'affecte la péremption ;

- de la purge des hypothèques résultant du procès-verbal de l'adjudication sur expropriation forcée et du paiement ou de la consignation de l'indemnité définitive d'expropriation pour cause d'utilité publique ».

Si nous résumons en quelques phrases la substance de ces dispositions, il ressort quelques grands principes :

. toute hypothèque conférée à un créancier en zone Ohada doit faire l'objet d'une inscription aux livres fonciers, (art. 122 alinéa 1)

. cette inscription doit toutefois être effectuée dans le respect des règles et prescriptions de la publicité foncière telle que prévue dans le droit interne de chaque pays membre (art. 122 alinéa 1),

. le droit Ohada s'interdit de légiférer en cette matière du ressort des législations nationales (art. 122 alinéas 1 et 2).

La publicité foncière étant constituée de l'ensemble des règles relatives à la publication des droits aux livres fonciers, elle inclut logiquement entre autres :

. outre les divers aspects procéduraux des inscriptions aux livres fonciers (conditions et modalités d'inscription, composition des dossiers, délais d'inscription, incidents, modification, annulation et radiation des droits …) ,

. les effets des inscriptions.

Or nous constatons qu'après renvoi à la législation interne en ce qui concerne les règles de la publicité foncière prévues (art. 122), et au lieu d'en rester là, les rédacteurs de l'Acte entreprennent également de fixer les règles relatives à la portée de l'inscription aux livres fonciers. L'article123 interfère effectivement dans le domaine de la publicité foncière en ce qui concerne les effets des inscriptions, en ces termes, en ne retenant d'ailleurs ni les standards du système Torrens, ni ceux du Code civil :

Art. 123. L'inscription conserve le droit du créancier jusqu'à la date fixée par la convention ou la décision de justice ; son effet cesse si elle n'est pas renouvelée, avant l'expiration de ce délai, pour une durée déterminée.

Nous nous sommes demandés, dans le cadre d'une autre analyse plus spécifique sur la question (14) pour quelle sécurité juridique supplémentaire ces nouvelles règles uniformes ont été établies ? En relevant qu'il semblerait que les standards du système Torrens aient été écartées car le schéma « validité illimitée » des droits inscrits aux livres fonciers incluait des frais assez élevés de radiation des inscriptions, nous nous sommes demandés si un réel arbitrage avait pu être fait, sur la base d'études documentées, entre les coûts liés à une formalité unique de radiation à la fin de la vie de la garantie hypothécaire et ceux liés à plusieurs renouvellements d'inscriptions durant la vie d'une telle garantie.

Nous avons par ailleurs rappelé que la péremption des inscriptions hypothécaires étant justifiée, dans le schéma du Code civil français, par l'existence d'un système de publicité personnelle (15), l'on pouvait se demander quelle était la pertinence de son inclusion dans des systèmes fonciers africains du type Torrens non organisés sur la base de la publicité personnelle. ...

Nous n'avons enfin pas manqué de nous demander dans ce même article si, compte tenu de la maîtrise déjà pas toujours parfaite du droit antérieur attestée par les polémiques et atermoiements existant au sujet du renouvellement des inscriptions hypothécaires (16), les parties parviendraient à maîtriser ces nouvelles règles leur permettant de configurer conventionnellement la conservation des droits hypothécaires et à les mettre aisément en œuvre. Ce qui suppose de leur part la mise en place d'un ensemble cohérent de règles incluant des précisions sur la personne à laquelle incombe la formalité, celle qui doit en assumer financièrement la charge, le délai dans lequel la formalité doit être faite, les règles de computation des délais à retenir etc. Or un paramétrage contractuel défectueux fragilisera les garanties hypothécaires tant sur le marché primaire, impliquant les établissements bancaires prêteurs et leurs débiteurs hypothécaires, que sur le marché secondaire, impliquant ces établissements et les intervenants du marché financier, avec des schémas susceptibles d'amoindrir la sécurité des droits hypothécaires transmis en raison de problèmes de renouvellement d'inscriptions hypothécaires mal cernés et maîtrisés.


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(14) «  Eviter la trappe de l'imbroglio lié au renouvellement des inscriptions hypothécaires dans le droit Ohada des sûretés. » http://www.camimo.com/flashsur1.htm ».

(15) La doctrine avait en effet reconnu en son temps que si « la péremption a l'inconvénient d'exposer le créancier à la perte de sa sûreté pour un simple oubli de renouvellement et de faire subir au débiteur les frais du renouvellement », «  elle est pratiquement indispensable dans un système de publicité personnelle où elle évite de trop longues recherches et des risques d'erreurs  ; elle aussi l'avantage de rendre inutile , dans bien des cas, la radiation de l'inscription » (Encylopédie Dalloz précitée. Droit civil. D-I. 1952. Inscription hypothécaire § 395 p. 1054).

(16 ) en effet bien avant l'entrée en vigueur de l'AUS, avait déjà fait rage au Cameroun une importante polémique sur la nécessité de renouvellement ou non des inscriptions hypothécaires, puisque malgré l'entrée en vigueur pourtant assez ancienne du Décret foncier de 1932, de très nombreuses parties avaient continué de fonctionner avec les règles du Code civil, souvent par ignorance des règles de la législation foncière ou par automatisme. Au moment de la réalisation des garanties hypothécaires, était souvent invoquée la "caducité" d'hypothèques dont les inscriptions n'avaient pas été renouvelées pour faire échec aux saisies immobilières, dans le cadre de débats aussi confus que houleux, compte tenu des enjeux.

De tels débats ne peuvent que se perpétuer avec la réintroduction de la péremption des hypothèques laissée au paramétrage de la liberté contractuelle, dans un environnement légal non complètement métabolisé depuis les réformes de 1932 mises entre parenthèses par bon nombre de praticiens.



CONCLUSION




La présente revue rétrospective des divers changements intervenus dans le droit des sûretés dans un intervalle de près temps de près de 80 ans montre la difficulté d'une articulation cohérente entre le droit des sûretés lato sensu et le droit hypothécaire en particulier d'une part, et le droit foncier régissant les immeubles sur lesquels les garanties et privilèges sont conférés.

A cette délicate question, s'ajoute le problème de la lente ingestion des textes par les praticiens, facteur supplémentaire de brouillage des schémas légaux non parfaitement métabolisés et d'adoption de chemins latéraux à la base d'importantes polémiques amplifiant le climat d'insécurité juridique des garanties.

L'Acte Uniforme Ohada portant organisation des sûretés, censé instaurer une sécurité juridique et judiciaire prônées par le Traite d'Harmonisation, a, nous semble-t-il « raté le coche » et s'est mis en porte-à-faux avec cette sécurité notamment en s'ingérant maladroitement dans le droit interne de la publicité foncière auquel il aurait simplement suffi de faire renvoi.

 








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