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REFLEXIONS |
LA "CADUCITE" D'UNE HYPOTHEQUE INSCRITE, POUR NON-RENOUVELLEMENT DE L'INSCRIPTION HYPOTHECAIRE, PEUT-ELLE ETRE INVOQUEE DANS TOUS LES PAYS DE LA ZONE OHADA POUR FAIRE ECHEC A UNE PROCEDURE DE SAISIE IMMOBILIERE ? (suite) par Me Mandessi Bell Evelyne Avocat au Barreau du Cameroun |
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Le grand principe en toile de fond est en effet que l'AUS fixe de nouvelles règles uniformes mais renvoie au droit interne pour certains détails du ressort de la législation foncière interne (régime de la publicité foncière et autres) : "Article 122. Tout acte conventionnel ou judiciaire constitutif d'hypothèque doit être inscrit au livre foncier conformément aux règles de la publicité foncière prévues à cet effet. L'inscription confère au créancier un droit dont l'étendue est définie par la loi nationale de chaque Etat partie et les énonciations du titre foncier. La publicité foncière étant constituée de l'ensemble des règles relatives à la publication des droits aux livres fonciers, elle inclut logiquement entre autres : . outre les divers aspects procéduraux des inscriptions aux livres fonciers (conditions et modalités d'inscription, composition des dossiers, délais d'inscription, incidents, modification, annulation et radiation des droits …) , . les effets des inscriptions. Si les rédacteurs de l'AUS étaient donc restés dans la logique de non-ingérence, aurait simplement été applicable tel quel le droit interne dont nous avons rappelé ci-dessus les différences selon les pays. Malheureusement, tel n'a pas été le cas.
Après rappel du principe général selon lequel « tout acte conventionnel ou judiciaire constitutif d'hypothèque doit être inscrit au livre foncier conformément aux règles de la publicité foncière prévues à cet effet » (art. 122), et au lieu d'en rester là, les rédacteurs de l'Acte entreprennent également de fixer les règles relatives à la portée de l'inscription aux livres fonciers. Les articles 123 et 129 interfèrent effectivement dans le domaine de la publicité foncière en ce qui concerne les effets des inscriptions, en ces termes : Art. 129. Tant que l'inscription n'est pas faite, l'acte d'hypothèque est inopposable aux tiers et constitue, entre les parties, une promesse synallagmatique qui les oblige à procéder à la publicité. Art. 123. L'inscription conserve le droit du créancier jusqu'à la date fixée par la convention ou la décision de justice ; son effet cesse si elle n'est pas renouvelée, avant l'expiration de ce délai, pour une durée déterminée. Dans l'article 129 reproduit ci-dessus, seul le premier membre de phrase est en concordance avec le système de publicité foncière Torrens (« Tant que l'inscription n'est pas faite, l'acte d'hypothèque est inopposable aux tiers »). Si le deuxième membre de phrase est a priori en phase avec les standards des pays de la 2 ème catégorie, il est par contre en totale discordance avec la logique et la mécanique de fonctionnement du système de publicité foncière Torrens resté en vigueur dans les pays de la 1 ère catégorie. En effet, alors que l'inscription d'un droit réel immobilier aux livres fonciers est une simple formalité de publicité à l'égard des tiers, qu'elle n'a nullement pour effet de créer un droit ou une charge et qu'elle n'est donc pas une condition de formation ou de validité d'un acte entre les parties, l'article 129 de l'Acte Uniforme Ohada établit une règle contraire. Quant à l'article 123, il efface purement et simplement d'un trait de plume les règles internes de la publicité foncière en matière de conservation des droits inscrits en ne retenant ni les standards du système Torrens (durée illimitée jusqu'à la publication de l'acte contraire), ni ceux du Code civil (durée limitée à 10 ans) … Enfin, en ce qui concerne l'article 124, nous relevons qu'il amalgame inopportunément extinction de l'hypothèque et péremption de l'inscription hypothécaire en ces termes : Art. 123. L'inscription conserve le droit du créancier jusqu'à la date fixée par la convention ou la décision de justice ; son effet cesse si elle n'est pas renouvelée, avant l'expiration de ce délai, pour une durée déterminée. D'emblée, se posent les questions de savoir de quel droit il s'agit et à l'égard de qui cette conservation doit produire ses effets. S'agissant de la 1 ère question, nous constatons qu'aucune réponse ne figure dans l'article 122 al. 2 qui, en énonçant que « l'inscription confère au créancier un droit dont l'étendue est définie par la loi nationale de chaque Etat partie et les énonciations du titre foncier », fait un renvoi pur et simple à la législation interne. Ceci implique que contrairement à une interprétation très répandue, « le droit » dont s'agit, ne renvoie pas automatiquement aux droits du créancier hypothécaire lato sensu ; il faut plutôt se référer à ce que chaque législation interne précise . Il s'ensuit que les conséquences du non-renouvellement prescrit, mentionnées dans cet article 123, ne peuvent pas être les mêmes selon les pays membres de l'Ohada. Ainsi, dans les pays de la 1ère catégorie demeurés dans l'orthodoxie de la publicité foncière de type Torrens, le droit qui cesse d'être conservé par application de cet article 123 doit logiquement être celui du créancier inscrit d'opposer aux tiers les droits lui ayant été conférés sur l'immeuble, de se prévaloir à leur encontre de son rang ainsi que de son droit de préférence, et d'exercer son droit de suite à l'égard de tout tiers détenteur de l'immeuble (9). Il ne peut s'agir des droits hypothécaires du créancier eux-mêmes dont la validité entre les parties ne dépend pas de l'inscription aux livres fonciers. Cette acception du terme « droit » serait d'ailleurs un peu en phase avec l'article 122 al. 3 de l'AUS disposant que « l'hypothèque régulièrement publiée prend rang du jour de l'inscription, sauf dispositions contraires de la loi, et le conserve jusqu'à la publication de son extinction ». La réponse à la 2 ème question soulevée ci-dessus s'impose alors d'elle-même : les droits du créancier venant d'être rappelés cessent d'être conservés seulement vis-à-vis des tiers , seuls concernés par les problèmes d'opposabilité de droits. Examinons à présent ce qu'il peut en être dans les pays de la 2ème catégorie pris à titre d'exemples : . Guinée. Art.204. L'inscription conserve le privilège ou l'hypothèque jusqu'à une date fixée par le créancier, sans toutefois que la date extrême de cette inscription soit postérieure de dix années à compter du jour de la formalité. Si elle n'a pas été renouvelée au plus tard à cette date elle cesse aussitôt de produire effet. . Congo : Art.69.- L'hypothèque sur les immeubles immatriculés n'existe à l'égard des tiers et n'a rang entre les créanciers que du jour de l'inscription. Les inscriptions ont la même durée que les hypothèques. Art.78.- Le Conservateur des Hypothèques et de la Propriété Foncière peut, dans le cas des hypothèques conventionnelles, à l'expiration des délais prévus et en l'absence de main levée, procéder à leur renouvellement d'office avec paiement des droits par le bénéficiaire de l'inscription. Le renouvellement d'office par le Conservateur ne peut intervenir plus d'une fois. Nous constatons que le terme « droit » utilisé dans l'article 123 de l'AUS renvoie en principe, dans l'acception de la législation interne guinéenne, aux « droits hypothécaires du créancier » qui seraient donc en principe éteints en cas de non-renouvellement de l'inscription. Dans ce cas : . il y aurait concordance entre la péremption de l'inscription hypothécaire et l'extinction de l'hypothèque, . mais alors cet article 123 de l'AUS ne serait plus en cohérence avec le dispositif de l'article 122 alinéa 3 du même Acte Uniforme qui ne parle pas de conservation de la validité de l'hypothèque mais seulement de la conservation de son rang , jusqu'à la publication de son extinction … Si l'on examine l'autre pays de la 2 ème catégorie pris à titre d'exemple (Congo), l'analyse faite ci-dessus en rapport avec la Guinée n'est plus valable compte tenu du libellé différent des textes et de l'inclusion d'autres alternatives en ce qui concerne le renouvellement des inscriptions. Tel est l'environnement hétérogène en toile de fond duquel il est question de répondre à l'interrogation : la caducité d'une hypothèque inscrite pour non-renouvellement de l'inscription hypothécaire, peut-elle être invoquée dans tous les pays de la zone Ohada pour faire échec à une procédure de saisie immobilière ? (9 ) J. Chabas précité. Fasc. B. Effets de l'immatriculation et de l'inscription des droits réels. L'inscription est constitutive du droit par rapport aux tiers , seule la radiation de l'inscription peut, par rapport à eux, libérer l'immeuble. |
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L'argument de la « caducité » d'une hypothèque inscrite est retrouvé, sous des vocables divers plus ou moins appropriés (« péremption », « extinction » de l'hypothèque) dans un certain nombre de décisions de justice dans le cadre desquelles le débiteur ou la caution propriétaire du terrain hypothéqué essaie de faire échec à la saisie ou sollicite la main levée de l'hypothèque, pour non-renouvellement de l'inscription hypothécaire. Au-delà des problèmes sémantiques pour savoir s'il y a lieu de parler d' « extinction d'hypothèque » (terme le plus usité) plutôt que d'utiliser le terme « caducité d'hypothèque » (10), deux importants problèmes sous-jacents à cette question doivent être examinés, qui le seront ensemble : . y-a-t-il ou non concordance entre la péremption d'une inscription hypothécaire et l'extinction de l'hypothèque, . qui peut invoquer la caducité d'une hypothèque ? L'exposé rétrospectif antérieur des droits internes en matière de publicité foncière, qui a mis à jour l'hétérogénéité des environnements légaux existant dans les divers pays de la Zone Ohada, permet déjà d'apporter une réponse de principe négative à la question de la possibilité d'invoquer de manière générale la caducité d'une telle hypothèque pour non-renouvellement de l'inscription hypothécaire dans tous les pays de la zone Ohada. De fait, tout dépend du régime interne de publicité foncière et il devra donc être répondu à cette question en fonction des deux catégories de pays de la nomenclature évoquée. 1.1.. Dans les pays de la 1ère catégorie Après le bref rappel des principes applicables et le passage en revue de quelques cas de figures susceptibles de se présenter, seront évoqués les quiproquos autour de l'épineux problème du renouvellement des inscriptions hypothécaires avec l'exemple du Cameroun. 1.1.1. Les principes applicables et quelques cas de figures susceptibles de se présenter Rappelons que dans cette catégorie de pays demeurés dans l'orthodoxie du système Torrens, les principes cardinaux sont que : . l'inscription aux livres fonciers d'une hypothèque est obligatoire pour être opposable aux tiers, . elle atteste de l'existence du droit inscrit vis-à-vis des tiers mais n'est pas une condition de validité de la garantie hypothécaire conférée conventionnellement au créancier. Derrière ces principes se cache toutefois une pluralité de cas de figures résumés dans les tableaux ci-après. ------------------------------- (10) rappelons que la caducité peut être définie comme l'état d'un acte juridique dont la validité disparaît et qui n'a donc plus d'efficacité par défaut d'accomplissement d'une formalité , absence d'exercice d'un droit ou survenance d'un évènement. |
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Il ressort de ce passage en revue, d'une part que les cas de figures peuvent être divers et que les raisonnements « automatiques » sont à proscrire, d'autre part que les personnes fondées à invoquer le non-renouvellement de l'inscription et la caducité de l'hypothèque sont principalement celles concernées par l'opposabilité des droits inscrits et auxquelles l'exercice du droit de préférence ou de suite est susceptible de causer un préjudice, ce qui n'est pas le cas du débiteur ou de la caution hypothécaire qui s'oppose simplement dans ce cas au droit de saisie. |
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