PLEINS FEUX SUR ...

LES REALITES ET CONTOURS TORTUEUX DE LA PRATIQUE DES BAUX COMMERCIAUX (*) EN ZONE OHADA.
CONSTATS ET LEÇONS A TIRER.


1. QUELQUES ANECDOTES SUR LES BAUX COMMERCIAUX




(*) devenus baux à usage professionnel après 2008. Analyse de base restant valable.

L'INCOMPREHENSION DE CHRISTINE SEPU

. Christine Sepu est désemparée. Elle a, dans la ville, deux cyber-cafés qui marchent bien et la bailleresse de l'un d'eux est venue "faire ses intelligences avec son droit Ohada" et elle a bien peur que le bailleur de l'autre cyber fasse de même, bien qu'ils ne se connaissent pas.

Sa bailleresse a donc refusé de lui renouveler son bail, "soit-disant qu'il fallait le faire par voie d'huissier". "Tu entends ça ?" Est-ce que l'huissier était là quand on a commencé le bail? Est-ce qu'on a des problèmes ? Je lui dois de l'argent ? Il s'agit juste de renouveler le bail! Nous on ne connait pas votre droit Ohada là ! On a toujours fonctionné avec la tacite reconduction et ça a toujours très bien marché" ! Si tu ne dis pas "je ne veux plus, on continue" ....

L'HISTOIRE DE M. CAMARA

. M. Camara Abdoulaye, bailleur est en pleine conversation avec son ami qui lui raconte ses déboires avec un locataire à cause d'un problème de cession de son bail commercial Ohada :

« Dans le mien avec M. Ibrahim, pas de souci », rétorque-t-il, « il ne peut pas y avoir aucun problème de cession avec lui puisqu'il n'y a rien de prévu !».

Six mois plus tard, M. Camara Abdoulaye est fou furieux et incrédule de se voir notifier par « simple » lettre recommandée, la cession de son bail au profit d'une certaine Madame Simo, surgie de nulle part et dont il n'a pu vérifier ni la solvabilité, ni le sérieux … Et le voilà dans le contentieux …

L'HISTOIRE DE YVETTE EBAMA

. Mme Yvette Ebama, très pointilleuse dans la gestion de ses deux locaux commerciaux à usage de boutique au marché central, a prévu dans ses baux que les loyers pourront faire l'objet de révision. « C'est normal, non ? Avec l'augmentation du coût de la vie ! ».

Elle a déjà fait ses calculs et apprêté ses éléments. Mais voilà ! Rien n'a été prévu dans ses baux en ce qui concerne la périodicité de révision des loyers. Elle vient d'apprendre que c'est tous les trois ans ! C'est ce qui serait prévu par « l'Ohada » lorsqu'on ne dit rien dans le bail. « Mince alors ! Encore deux ans à attendre » alors qu'elle avait déjà fait ses prévisions … pour couvrir les frais de scolarité de ses trois enfants ! « Elle va faire comment à la rentrée ? »

AUTRE ANECDOTE ... L'HISTOIRE DU PATRON DE LA SOCIETE UBIX

. Patron d'une PME dynamique ayant pignon sur rue, M. Eric Dubois, expatrié dont la société est titulaire d'un bail commercial Ohada, a obtenu de son bailleur l'autorisation de sous-louer l'une des pièces du très vaste local que sa société occupe sur l'artère principale de la ville. Pour lui, tout est donc « en ordre ». Or une amie juriste vient juste de lui dire « du n'importe quoi » en lui parlant de la nécessité de donner au bailleur une copie de son bail avec le sous-locataire ! « Qu'est-ce-que c'est que cette histoire » alors qu'il déjà eu son autorisation !!!

Les grandes entreprises ne sont pas indemnes de telles pratiques. Loin s'en faut. Ces différentes anecdotes illustrent parfaitement certains aléas liés à la méconnaissance du droit Ohada des baux commerciaux Ohada et sont confirmées par les résultats d'une étude récente sur l'état de la pratique en matière de baux commerciaux Ohada.




2. QUELQUES STATISTIQUES



En ce qui concerne par exemple le renouvellement des baux commerciaux à durée déterminée, l'étude montre :

. qu'environ 60 à 70% des baux à durée déterminée comprennent des clauses de tacite reconduction alors que le droit Ohada ne permet pas l'inclusion de telles clauses,

. que dans le contentieux des baux commerciaux, les litiges liés au renouvellement de baux à durée déterminée représentent près de 40% des dossiers et que dans cette catégorie, un bon tiers des baux sont à durée déterminée avec clause de tacite reconduction.




3. LE REGNE DE L'INFORMEL



L'étude réalisée montre également que le renouvellement informel des baux Ohada à durée déterminée est une pratique courante dont il est toutefois encore difficile de mesurer de manière précise la prévalence, mais qui prend diverses formes parmi lesquelles notamment la poursuite tacite du bail sans demande formelle de renouvellement (exemple : la poursuite de la perception des loyers après l'expiration du bail « valide » le renouvellement du bail).

Il apparait que les parties s'accommodent relativement bien de ce mode de fonctionnement informel pendant un certain temps, puis se « souviennent » de l'existence des standards du droit Ohada lorsque les frottements surgissent entre elles, ou au moment où il faut saisir les tribunaux, car à ce moment là, il faut discuter « droit ».

Il apparait également que ce contentieux n'a pas majoritairement pour origine l'omnipotence des bailleurs, mais résulte asses souvent de l'absence de demande par les locataires de renouvellement de leur bail.

 


4. L'INCONSEQUENCE DES LOCATAIRES TITULAIRES DE BAUX COMMERCIAUX OHADA




Comme souligné ci-dessus, le contentieux en ce domaine est souvent dû au non-respect de prescriptions pourtant assez simples et dont le non-respect a fréquemment des incidences désastreuses, parfois incommensurables, tant au niveau de la sécurité juridique des locataires concernés que sur le plan financier :

. acceptation de pratiques informelles,

. non accomplissement des formalités requises,

. ou accomplissement des formalités sans toutefois respecter les prescriptions précises du droit Ohada des baux, exemple : notification par lettre recommandée avec accusé de réception au lieu d'une notification par huissier pour le congé d'un bail à durée indéterminée.

Il est en définitive ahurissant de constater qu'alors que les locataires commerçants investissent des sommes conséquentes, parfois considérables, et mobilisent une importante énergie pour la mise en place et la réalisation de leurs activités, ils s'avèrent incapables de sécuriser le « virage » du maintien du site de leurs activités en se disciplinant pour se conformer à la formalité de demande de renouvellement qui ne requiert pourtant en moyenne qu'une modique somme oscillant entre 25 000 F CFA (environ 31 €) et 40 000 F CFA (61 €) selon les huissiers et les pays. Par contre, par la suite, un budget sans commune mesure avec ces sommes doit être mobilisé par la suite pour le contentieux lié au non-renouvellement, lequel peut parfois se prolonger jusqu'à la CCJA à Abidjan et durer plusieurs années ...

Ceci montre à l'évidence une absence de capacité d'arbitrage des intéressés en ce qui concerne ce point vital de la propriété commerciale , alors que la contrainte financière n'est pas importante mais que par contre l'enjeu de pérennisation de l'activité est important. En effet, si cet arbitrage était fait, il y aurait une réduction sensible du nombre de décisions d'expulsion rendues à l' encontre de ces locataires pour défaut de conformité aux prescriptions du droit Ohada.

Egalement imprévision des locataires ...

Le droit Ohada des baux circonscrit de manière précise la marge de manœuvre des parties en ce qui concerne la conclusion de baux commerciaux, en distinguant ce qui est permis, ce qui est interdit et les domaines où les parties peuvent décider librement de ce qu'elles veulent. Mais cette donnée de base n'est pas souvent prise en compte (tant d'ailleurs par les locataires que par les bailleurs) pour paramétrer les baux, d'où des découvertes « après-coup » de l'application de dispositions qui ne leur conviennent pas mais dont elles doivent subir les conséquences parfois très néfastes.

Un exemple, un locataire qui investit dans son local d'activité doit se soucier de la durabilité du bail. Or peu de baux contiennent des clauses précises en ce qui concerne par exemple la durée d'un bail renouvelé, et bon nombre de locataires ne savent pas ou ne sont pas conscients du fait que lorsque rien n'est prévu en ce domaine, c'est le droit Ohada qui s'applique automatiquement et pas nécessairement en leur faveur. Le dispositif Ohada prévoit une durée de trois ans (art. 97 al.1) qui peut ou non être appropriée par rapport aux données spécifiques du locataire concerné. Si elle n'est s'avère pas adéquate parce que le niveau d'investissements requiert un amortissement sur 8 ans ou plus, le contentieux pourra se profiler à l'horizon …




5. LA PERSISTANCE DE PRATIQUES EN MARGE DU DROIT OHADA DES BAUX





> Les tendances

L'étude menée atteste du maintien de pratiques en marge des standards et prescriptions du droit Ohada des baux, par mauvaise application ou mauvaise interprétation de ce dernier, telles :

. l'exigence d'une mise en demeure avant des demandes d'expulsion de locataires pourtant déchus de leur droit au renouvellement,

. la demande de résiliation judiciaire de baux non renouvelés dont les locataires ont pourtant été déchus pour absence de demande de renouvellement.

La clause de tacite reconduction peut toutefois être placée sur un grand podium eu égard aux désordres qu'entraîne son inclusion persistante dans les baux Ohada, plus de 10 ans après l'entrée en vigueur de l'Acte Uniforme sur le Droit Commercial Général.

> La tacite reconduction a la vie dure …

Ce couteux contentieux dû à une mauvaise interprétation des textes Ohada, et résultant souvent en fait d'un amalgame entre le régime du non-renouvellement et celui de la résiliation des baux , est parfaitement illustré par l'arrêt Halaoui Issam (CCJA Arrêt n°014/2002 du 18 avril 2002, Halaoui Issam Rached c/ La Cie Industrielle de Diffusion et d'Engineering dite CIDE SARL) qui avait emmené les deux parties dans un face-à-face juridique opaque pendant 4 ans (de 1998 à 2002), du Tribunal de Première Instance d'Abidjan, jusqu'à la CCJA.

Dans cette affaire où était en cause le problème du non-renouvellement d'un bail comprenant une clause de tacite reconduction, la formalité de demande de renouvellement n'avait pas été effectuée « puisque » le bail étant censé être sous le régime de la tacite reconduction, et il était question de savoir en filigrane quels pouvaient être les effets précis de l'inclusion de cette clause, puisqu'en dépendait le maintien ou non de la locataire sur les lieux .

Rappelons que dans le cadre du mécanisme de la tacite reconduction, le bail est censé être reconduit si l'une ou l'autre des parties ne manifeste pas sa volonté d'y mettre un terme, alors que l'article 92 de l'Acte Uniforme Ohada, disposition d'ordre public, prévoit au contraire qu'il ne peut y avoir de renouvellement implicite, le locataire étant obligé de manifester son désir de rester sur les lieux même s'il a droit au renouvellement parce qu'il est en place depuis plus de deux ans et a mené une activité conforme à ce qui avait été prévu dans le bail.

Dans le brouillage de l'orientation des débats juridiques focalisés sur la tacite reconduction maintenu dans cette affaire depuis le niveau de la première instance jusqu'au niveau de la CCJA, cette dernière fait fi du dispositif pourtant d'ordre public du droit Ohada (art. 92) et décide de considérer le bail litigieux comme renouvelé « en l'absence de dénonciation du bail dans les temps impartis » …

Les dérapages de ce type se retrouvent dans un certain nombre de décisions de justice :

• non prise en compte du caractère d'ordre public de l'article 92 de l'Acte Uniforme sur le droit commercial général :

- Tribunal de Première Instance de Cotonou (Bénin), Jugement contradictoire n°011/ 1ère C. Commerciale du 19 mai 2003, Ets CEDIS C / Héritiers AHO Philippe.

Le contrat est la loi des parties. S'il est prévu, dans un bail, que l'intention de résilier le contrat doit être portée par la partie qui en prend l'initiative, au moins trois mois à l'avance à titre de préavis, le non respect des formes prévues par ce contrat par l'une des parties quant à sa durée et sa résiliation fait échec à la notification par le bailleur de l'exploit de non renouvellement du contrat de bail, ce qui entraîne le prononcé de son irrecevabilité.

Il en ainsi, même s'il est prévu, dans l'Acte uniforme sur le droit commercial général que, dans le cas du bail à durée déterminée, le preneur a droit au renouvellement de son bail à condition de former sa demande de renouvellement par acte extra judiciaire, au plus tard trois (3) mois avant la date d'expiration du bail.

• Amalgame et confusion entre le régime du renouvellement et celui de la résiliation des baux commerciaux :

. TPI de Bafoussam, jugement civil n° 23/civ. du 27 décembre 2002, Affaire BONWO Daniel c/ FOTSING Bertin :

Est déchu de son droit au renouvellement du bail commercial le preneur qui ne formule pas sa demande de renouvellement au plus tard trois mois avant l'expiration du bail comme le prévoit l'article 92 AUDCG. Le non accomplissement de ces diligences peut justifier la résiliation judiciaire du bail et l'expulsion forcée du preneur.

. Cour d'appel de Dakar, arrêt n° 144 du 3 octobre 2002, Assad Gaffari c/ Jacques Resk :

Assignation en résiliation de bail contre un preneur n'ayant pas demandé le renouvellement de son bail à durée déterminée et est en conséquence déchu de son droit au renouvellement. Le juge des référés est compétent pour prononcer la résiliation.

Par contre certaines décisions sont exemplaires par leur clarté et leur motivation :

. Cour d'appel de Niamey, Chambre civile, arrêt n° 51 du 3 avril 2002, Amadou Hamidou TCHIANA c/ Michel Elias HADDAD.

En application de l'article 92 de l'acte uniforme sur le droit commercial général, le preneur d'un bail à durée déterminée qui ne fait pas sa demande de renouvellement dans le délai imparti par ce texte est déchu de son droit au renouvellement.

Le refus du bailleur de renouveler le bail ne pouvant s'analyser en une résiliation judiciaire, celui-ci n'est pas tenu de respecter l'article 101 de l'acte uniforme précité qui lui prescrit de notifier son intention aux créanciers inscrits sur le fonds.

Il y a urgence pour un propriétaire d'immeuble de récupérer son bien lorsque le preneur est sans droit ni titre ; cette urgence justifie la compétence du juge des référés.

. CCJA, 2ème Chambre, Arrêt n° 5 du 30 mars 2006, Affaire: Société PONTY SARL c/Société PONTY IMMOBILIERE SA,

L'article 92 de l'Acte uniforme portant Droit commercial général, faisant peser sur le preneur l'obligation de demander le renouvellement du bail par acte extra-judiciaire au plus tard trois mois avant la date d'expiration, le preneur qui a manqué à cette obligation est sanctionné par la déchéance de son droit au renouvellement du bail.

Le juge des référés est compétent pour constater cette déchéance et prononcer l'expulsion du preneur.

Les dispositions de l'article 92 étant d'ordre public conformément à l'article 102 de l'Acte uniforme portant droit commercial général, la clause de résiliation insérée dans le bail ne saurait prévaloir sur les dites dispositions d'ordre public.

 


CONCLUSION




L'étude réalisée montre en définitive qu'un certain chemin reste encore à parcourir pour atteindre les niveaux de sécurité juridique prônés par le Traité d'Harmonisation.

Il apparait que l'application correcte du droit Ohada des baux, en l'occurrence, le simple respect de certaines formalités requises dont l'absence d'accomplissement a été mis en exergue, pourrait déjà diminuer sensiblement une partie du contentieux relatif aux baux commerciaux.

La sécurité juridique ne s'improvise toutefois pas. Elle impose de mettre de côté les habitudes mécaniques (telle l'inclusion des clauses de tacite reconduction et autres), et de prendre réellement en compte les nouveaux standards Ohada.


Me MANDESSI BELL Evelyne
Avocate




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